Depuis le début de l’année les descentes de police contre les groupes mafieux se multiplient en Allemagne. Objectif : gêner l’activité de ces clans, qui compteraient jusqu’à 500 000 membres, pour en venir à bout. Dans ce magazine aussi : reportage en Espagne, où le pays doit relever le défi de l’accueil de milliers de jeunes mineurs arrivant seuls.
Depuis le début de l'année les descentes des forces de l’ordre contre les groupes mafieux se multiplient en Allemagne. Cinq cents policiers mobilisés la semaine dernière à Essen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, 1300 au mois de janvier dans plusieurs villes de la même région de l’Ouest du pays. Des descentes alors que, au même moment, se déroulait à Berlin un procès contre des voleurs présumés, membres d'un clan mafieux.
"Il est temps d'appliquer le principe de la tolérance zéro", disait tout récemment Herbert Reul, le ministre de l'Intérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où ont eu lieu les plus grosses actions de police.
De quels clans parle-t-on ?
Ce sont en fait diverses familles, des groupes mafieux, des groupes ethniques, présents en Allemagne depuis parfois plusieurs dizaines d'années. Originaires du Liban, de Turquie, d'Albanie, du Kossovo ou encore de Tchétchénie.
Les experts les plus alarmistes évoquent le chiffre de 500 000 personnes membres de ces groupes de façon plus ou moins active. "Si vous voulez, leur point commun est qu'il s'agit de sous-cultures qui revendiquent leur propre système de normes et de valeurs, qui rejettent catégoriquement le système juridique allemand, qui essaient d'établir leur propre système juridique et qui vivent, d'une part, en utilisant les systèmes sociaux allemands et, d'autre part, en maintenant un niveau de vie considérable grâce à des actes criminels", expliquait Sebastian Fiedler, le vice-président fédéral de l'Association des enquêteurs criminels allemands à nos confrères de Deutschlandfunk, une radio publique allemande, il y a quelques semaines.
Des groupes installés depuis des décennies
Ces groupes sont responsables d’actes criminels qui s’étendent du trafic de drogue à celui des armes, en passant par le trafic d'argent sale ou des vols spectaculaires. Des groupes installés depuis 20, 30, voir 40 ans pour les plus anciens, qui vivent parfois dans le luxe aux yeux de tous et peuvent se payer les meilleurs avocats du pays.
Aujourd’hui leur ancrage dans le temps est une difficulté à laquelle doivent faire face la police et la justice. Certains membres ont grandi et vécu toute leur vie dans ces groupes. "A l’époque nous leur avons clairement fait comprendre que nous ne voulions pas d'eux ici, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas accès à l'éducation ni au travail", explique l'islamologue Mathias Rohe en citant le cas des premiers réfugiés libanais arrivés dès 1975, pendant la guerre civile chez eux, en Allemagne. "Les personnes viennent généralement d'États où elles ont survécu sous la protection de la famille élargie. L'État était l'ennemi, il y avait des discriminations massives. Cela signifie que la stratégie de survie était de se serrer les coudes."
En août 2018, 77 biens immobiliers appartenant à un même groupe étaient saisis dans la capitale allemande. Des biens acquis avec de l'argent récolté lors d'un casse de banque, selon les enquêteurs.
Danger pour les "nouveaux migrants" en Allemagne
Aujourd'hui l'histoire se répète. En décembre dernier, plusieurs médias allemands révélaient que des réfugiés arabes arrivés à Berlin depuis 2015 étaient devenus une cible du recrutement de clans criminels d'origine libanaise. Des hommes seuls souvent, qui cherchent un travail mais ne parlent pas bien, voire pas du tout, allemand. Les groupes criminels les emploient pour commettre des vols à leur place par exemple.
Des milliers de cas déjà signalés
Les activités criminels de ces groupes sont loin d'être isolées. Fin août 2018, la police saisissait 77 biens immobiliers appartenant à un même groupe dans la capitale allemande. Des biens acquis avec de l'argent récolté lors d'un casse de banque selon les enquêteurs.
Dans l'autre région fortement touchée par les actes de ces clans, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, entre 2016 et 2018 plus de 14 000 infractions ont été enregistrées pour le compte de ces clans. Des crimes violents, des infractions contre les biens, des fraudes ou encore du trafic de drogue.
Allier répression et prévention
Aujourd'hui la police tente donc d'agir avec la politique dite "des 1000 piqûres d'épingles". Elle tente de multiplier les interventions, parfois surprises, pour gêner au maximum le travail des mafieux.
Preuve de l'importance des groupes criminels, plus de 2000 personnes étaient présentes aux obsèque de Nidal R., membre connu de ces groupes, assassiné l'an dernier à Berlin
Les groupes seraient ainsi déjà perturbés dans leur quotidien. "Mais le seul volet policier ne suffira pas", souligne le spécialiste de l'islam et des migrations Ralph Ghadban. "Il faut d'abord dynamiter le groupe pour qu'il y ait une intégration individuelle. J'estime que 30 à 40% des membres veulent mener une vie normale. Mais ils se sentent piégés dans ces clans. Il faut leur offrir la possibilité d’en sortir", explique-t-il. Il cite les cas de jeunes hommes mais aussi des femmes, pour qui il n’y a, pour l’heure, aucune infrastructure. "Si une femme se sort d’un clan, il faut la former pour qu'elle trouve un emploi, qu'elle apprenne à devenir indépendante", insiste-t-il.
Changer la loi ?
Ralph Ghadban estime qu'il faut aussi donner davantage de moyens à la justice, l'adapter pour mieux répondre à la menace. "Il faut avoir, comme en Italie, une inversion du fardeau de la preuve", estime-t-il. Un système qui supprimerait le principe de la présomption d’innocence. "Par exemple, lors d’une perquisition, ils ont découvert 60 000€ chez une personne qui vivait de l’aide sociale Hartz-IV depuis des années. C’est maintenant au tribunal de prouver que l’argent a été volé ! Il faut changer la loi : cela doit être confisqué immédiatement et si la personne concernée veut récupérer son argent, elle doit prouver elle-même que l'argent est gagné honnêtement", plaide-t-il. "C’est ainsi qu’ils ont réussi à réduire le pouvoir de la mafia en Italie".
Le travail de lutte contre les groupes mafieux n’est pas simple. Certains policiers ont déjà été menacés en dehors de leur travail, dans leur vie privée. Mais des experts parlent désormais de "fissures" au sein des clans. Certains membres accepteraient dorénavant de collaborer avec la police. Pas de quoi se réjouir pour autant côté forces de l'ordre. "La lutte contre ces groupes, ce n'est n'est pas un 100 mètres, mais un marathon", conclut Mathias Rohe.
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L'Espagne est devenue la première porte d’entrée en Europe des migrants, comme ici sur l'enclave espagnole de Ceuta
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