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CDM 2022 : l'Afrique et le rêve d'une demi-finale

21 novembre 2022

Aucune équipe africaine n'est parvenue à franchir les 1/4 de finale d'un Mondial. Des ex-internationaux africains tentent d'en expliquer les raisons.

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Qualification du Cameroun face à l'Algérie
En battant l'Algérie le 30 mars dernier à Blida, le Cameroun s'est qualifié pour la Coupe du monde pour la huitième fois de son histoire.Image : Xinhua News Agency/picture alliance

Depuis la première Coupe du monde en 1930, seulement trois équipes africaines ont réussi à atteindre le stade des quarts de finale : le Cameroun en 1990, le Sénégal en 2002 et le Ghana en 2010. Malheureusement pour le continent, aucune de ces équipes n'est parvenue à se qualifier pour le dernier carré.

Alors que les joueurs africains font les beaux jours des meilleurs clubs européens et que certains font partie des plus grands joueurs actuels, pourquoi les équipes nationales ne suivent-elles pas la même progression ?

"Il est vrai que ces dernières années, il y a de plus en plus de joueurs africains qui sont très compétitifs, qui jouent dans les meilleurs clubs du monde, qui font la course au Ballon d'Or, etc. C'est très valorisant pour le football africain. Mais sur le plan collectif, il y a encore des paramètres qu'on a du mal à développer en Afrique, au niveau des sélections", assure Yacine Abdessadki, ancien international marocain.

Développer l'aspect mental

Selon l'ancien joueur du SC Fribourg, à trop vouloir se reposer sur le talent de leurs stars, les sélections africaines oublient parfois de développer d'autres aspects.

"Culturellement, on a tendance à ne pas travailler sur des aspects sur lesquels on travaille depuis longtemps en Europe ou en Amérique du Sud. Notamment l'aspect mental et le développement cérébral", estime Abdessadki.

Même le meilleur joueur du monde ne saura pas quoi faire du ballon en situation de stress. Abdessadki assure néanmoins que cela n'est pas forcément une question de croyance, mais tout simplement de méconnaissance.

"Des équipes comme l'Espagne, la France ou la Belgique ou le Brésil vont ressortir le ballon très proprement. Sous la pression, ces équipes ne dégageront jamais loin, elles vont toujours chercher à respecter leur schéma préférentiel", assure-t-il. "Alors que chez d'autres nations, la première intention, ça va être de dégager le ballon le plus loin possible dans un moment de stress."

Avoir une vision sur le long terme

Autre aspect qui fait parfois défaut aux sélections africaines : le manque de perspective. "Tu n'arrives pas du jour au lendemain à un tournoi en te fixant un objectif élevé comme un quart de finale. Si tu fais ça, c'est trop tard", estime Karim Haggui.

Pour l'ancien joueur de Hanovre 96, "tout ça, ça se prépare en amont. Il faut qu'il y ait une stratégie de formation, travailler sur le niveau du football en Afrique, travailler sur la formation des entraîneurs en Afrique. Pour faire court, il faut faire évoluer le football africain. Il faut travailler sur le long terme."

Gyan Asamoah s'effondre à la fin du quart de finale contre l'Uruguay en 2010
Le Ghanéen Gyan Asamoah s'effondre à la fin du quart de finale contre l'Uruguay en 2010Image : Osvaldo Aguilar/IMAGO

Un avis partagé par Hans Sarpei. "Il faut que les fédérations se fixent un objectif, comme une demi-finale de CDM, et qu'elles se donnent, je ne sais pas, moi, 12 ans pour y arriver. Et qu'elles construisent quelque chose, avec des jeunes. Les rendre forts, mentalement. Il faudrait qu'elles se réfléchissent à quoi faire pour y arriver", estime l'ancien international ghanéen, passé notamment par le VfL Wolfsburg. "Ce n'est pas sûr que ça fonctionne à 100%, mais quand on voit l'Allemagne ou encore la France, ce sont des nations qui ont un plan."

La construction réfléchie d'une équipe, la formation d'un encadrement et la mise en place d'un projet où le travail technique, physique et mental sont indissociables demandent du temps mais surtout de l'argent.

Sur ce plan, l'Afrique est à des années-lumière de l'Europe ou de l'Amérique du Sud. En 2021, le budget de la FFF était de 249 millions d'euros, la part allouée au haut niveau était de 65 millions d'euros. A titre de comparaison, le budget de la FECAFOOT n'était que de 12,7 millions d'euros en 2020.

Le Cameroun, premier pays africain à atteindre les quarts de finale
En 1990, les Lions Indomptables sont devenus la première équipe africaine à atteindre les quarts de finale d'une Coupe du monde.Image : Sven Simon/Zuma Wire/IMAGO

Moins de places, moins de chances d'aller loin

Mais pour beaucoup d'anciens joueurs, le manque de moyens alloués au développement du haut niveau n'est pas forcément la raison derrière le manque de résultats au Mondial. Pour Yacine Abdessadki, le nombre d'équipes africaines présentes à chaque Mondial réduit forcément les chances du continent.

"C'est une question de probabilité. Il y a beaucoup moins d'équipes africaines en Coupe du monde que d'équipes européennes ou sud-américaines, donc statistiquement, il y a moins de chances qu'une de ces équipes puisse aller dans le dernier carré", assure l'ancien international marocain.

Jusqu'en 1998 et au passage à cinq places, seules trois équipes africaines avaient le droit de se frotter au gratin mondial. Forcément, l'expérience du très très haut niveau vient à manquer à certaines sélections, même les plus constantes.

"Le Cameroun est l'équipe africaine qui a le plus participé au Mondial. Les Lions Indomptables y ont participé à huit reprises. C'est beaucoup, mais si on regarde les cadors sud-américains ou européens, c'est le double. C'est un facteur très important", souligne Karim Haggui.

Pour Ricardo Faty, l'expérience est aussi un donnée-clé. "Le Ghana était par exemple tout près de passer en demi-finales face à l'Uruguay en 2010. Je pense qu'à l'époque, c'était dû à un manque d'expérience. Généralement, en quarts, il y a de grosses équipes qui arrivent, à savoir les nations européennes et sud-américaines. Le Brésil ou l'Allemagne sont plus habitués à disputer ce genre de rencontres", assure l'ancien international sénégalais.

Fans sénégalais
Des fans sénégalais à Dakar après le triomphe des Lions à la CAN en février dernierImage : Sylvain Cherkaoui/AP/dpa/picture alliance

Une pression différente à gérer

Cette Coupe du monde au Qatar est une nouvelle occasion pour l'Afrique de briser ce plafond de verre et donc gagner en expérience. "Je pense sincèrement que cette année, il y a des équipes comme le Sénégal ou encore le Cameroun qui ont assez de coffre, assez d'expérience pour franchir ce cap-là, notamment grâce à la présence de joueurs qui évoluent dans les plus grands clubs d'Europe", estime Ricardo Faty.

Attention toutefois à la pression qui, selon Hans Sarpei, est plus grande pour les stars africaines. "La plupart des joueurs africains évoluent en Europe et sont capables de supporter la pression. Mais c'est une pression différente quand c'est tout un pays qui attend la victoire finale. En Allemagne, on espère que l'équipe nationale va gagner la CDM. En Afrique, c'est parfois une obligation. Les joueurs ressentent la pression pour eux, mais aussi pour leurs familles. Quand tu te fais éliminer, tu ne rentres pas au pays derrière. Tu retournes en Europe, là où tu joues."

La pression ? Les équipes africaines l'auront particulièrement cette année. En 2018, pour la première fois depuis 1982, aucune nation du continent n'a réussi à sortir des poules. Une déconvenue de la sorte ne doit pas se reproduire.

 Ali Farhat, Redakteur DW Afrique
Ali Farhat Journaliste au programme francophone de la Deutsche Wellederpariser