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Inéligible, Laurent Gbagbo vise un retour à la présidence

11 mars 2024

L'ex-président ivoirien et opposant Laurent Gbagbo a accepté, malgré son inéligibilité, d'être le candidat de son parti à l'élection présidentielle de 2025.

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L'ex président ivoirien Laurent Gbagbo
La condamnation de Laurent Gbagbo en 2018 avait entraîné la déchéance de ses droits civiques et politiques Image : Diomande Ble Blonde/AP Photo/picture alliance

En Côte d'Ivoire, l'ancien président Laurent Gbago a été désigné par son parti, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire, le PPA-CI, pour être son candidat àl’élection présidentielle de 2025. Un choix qui ne surprend pas, mais qui suscite toutefois des interrogations car Laurent Gbagbo reste inéligible. 

Pour rappel, Laurent Gbagbo a été condamné en 2018 à 20 ans de prison pour le "braquage", sept ans plus tôt, de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest. Et même s'il a été gracié en 2022 par le président Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo n'a pas été amnistié. 

"Laurent Gbagbo a peu de chances de remporter le prochain scrutin présidentiel"

Pour l'analyste politique Geoffroy Julien Kouao, Laurent Gbagbo, même s'il était amnistié, a toutefois peu de chances de remporter le prochain scrutin présidentiel. Cliquez sur la dans l'article pour écouter. 

"Congrès extraordinaire" en vue

Le PPA-CI dit prévoir un "congrès extraordinaire pour la désignation formelle" de Laurent Gbagbo comme candidat et annonce que la "priorité" du parti est "désormais accordée à l'élection présidentielle et aux autres échéances électorales de 2025".

Il souhaite également obtenir "la réinscription du nom" de Laurent Gbagbo sur la liste électorale.

La condamnation prononcée en 2018 avait entraîné la déchéance des droits civiques et politiques de l'ex-président et donc sa radiation des listes électorales.

Il n'avait pas pu voter aux dernières élections municipales et régionales en septembre, lors desquelles son parti n'avait pas réussi à s'imposer et dont il avait contesté les résultats.

De son côté, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), premier parti d'opposition, a élu en décembre un nouveau président, Tidjane Thiam. 

Ni lui, ni Alassane Ouattara ne se sont prononcés sur leur éventuelle candidature à la présidentielle.

 

Lisez ci-dessous, aussi, l’entretien avec le juriste et analyste politique ivoirien, Landry Gayet KUYO, enseignant-formateur à l'école nationale d'administration de Côte d'Ivoire.

 

DW  : Bonjour M. Kuyo,  l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a été désigné par son parti le PPA-CI, pour être son candidat pour le prochain scrutin présidentiel. Quelles sont les chances qu'a M. Gbagbo de se faire inscrire sur la liste électorale et d'être parmi les candidats à la prochaine présidentielle prévue en 2025 ?

 

Landry Gayet KUYO : Condamné en 2018 à 20 ans de prison pour le braquage de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, l'ex-président de la République de Côte d'Ivoire s'est vu radié de la liste électorale, conformément à l'article 4 du Code électoral ivoirien. Suivant cette disposition, « Ne sont pas électeurs les individus frappés d'incapacité ou d'indignité, notamment les individus condamnés pour crime (…) ». 

En outre, la perte de la qualité d'électeur enlève à Laurent GBAGBO la possibilité de faire acte de candidature, notamment à l'élection du Président de la République, conformément à l'article 48 du Code électoral. La grâce présidentielle que lui a accordée en 2022 son tombeur et principal rival politique depuis Félix Houphouët-Boigny est certes une mesure appréciable pour la consolidation de la paix et la cohésion sociale, toutefois, elle reste insuffisante, voire frustrante pour le compétiteur politique que demeure Laurent GBAGBO.

En conséquence, Laurent GBAGBO ne peut donc voir sa candidature validée par le Conseil constitutionnel, nonobstant les velléités de candidature portées par l'ambition des siens de reconquérir, dans les meilleurs délais, le pouvoir d'État au moyen de celui qui semble leur meilleur atout.

Toutefois, à l'échéance du dernier samedi du mois d'octobre 2025, il apparaît que juridiquement, la seule chance dont dispose le citoyen Laurent GBAGBO pour être réhabiliter en vue d'être restauré en qualité d'électeur et de potentiel candidat reste le vote d'une loi d'amnistie. Au-delà de l'exercice de juridicité que semblent appréhender les parlementaires sensibles à la condition du président du PPA-CI, c'est le supplice de négocier en position de faiblesse qui semble écœurer davantage.

Landry Gayet KUYO
L'analyste politique ivoirien Landry Gayet KUYO Image : Hermann Djédjé

Mais à regarder de plus près, le PPA-CI et ses partenaires politiques nommés et innommés ne manquent pas d'optimisme. Il apparait que le PPA-CI à travers le point 18 du communiqué final de son Comité Central Ordinaire daté du 09 mars 2024, fasse le choix de faire l'économie d'énergie au sein d'un Parlement ivoirien dominé par le RHDP, pour préférer « mettre tout en œuvre pour obtenir des conditions d'élections justes et transparentes », notamment la dissolution de la CEI et la mise en place d'un nouvel organe chargé des élections, la refonte de la liste électorales et l'élaboration d'une nouvelle liste électorale, l'adoption d'un nouveau découpage électorale.

À l'examen, les conditions exigées par le PPA-CI ont bien trop d'incidence politique, financière, administrative et opérationnelle pour qu'elles puissent raisonnablement être mises en œuvre avant la tenue de la prochaine élection présidentielle. Aussi, serait-il possible que les stratèges du PPA-CI envisagent que l'élection ne se tienne pas à bonne date et que l'ordre constitutionnel fasse la place à une transition politique dont la feuille de route s'apparenterait à ce qui apparaît aujourd'hui comme une liste de revendications politiques hypothétiques ? En tout état de cause, les semaines qui suivront l'inhumation du président Henri Konan Bédié nous situeront.

 

DW : Le PPA-CI est-il un parti politique qui peut réunir l'opposition ivoirienne ?

 

Landry Gayet KUYO : Le PPA-CI est un parti politique né en réaction au conflit de leadership opposant les anciens camarades de lutte et de pouvoir réunis au sein du Front populaire ivoirien. La naissance de ce parti, plutôt que de créer une synergie et un effet d'entraînement, a eu pour incidence de séparer les principaux leaders de gauche et de démotiver de très nombreux militants. Préférant faire alliance avec le PDCI-RDA plutôt que de constituer une force de Gauche réconciliée, le PPA-CI a essuyé une cuisante défaite lors des élections des conseillers régionaux et municipaux de septembre 2023. Les choix stratégiques peu heureux conjugués à une absence de leaders à fort capital électoral autour de Laurent GBAGBO constituent de sérieux handicaps pour le parti de Laurent GBAGBO qui devra, avant d'affronter le RHDP et son candidat, convaincre les Ivoiriens de le préférer à un PDCI-RDA rajeuni, dynamique et nettement plus performant.

 

En tout état de cause, si le PPA-CI présentait un candidat éligible en 2025 afin de compétir à une élection présidentielle qu'il devrait certainement qualifier d'injuste et non transparente, celui-ci aura nécessairement besoin de tout ce qui reste de l'opposition ivoirienne, en intelligence comme en énergie. Toutefois, eu égard aux nouvelles dynamiques qui transportent le PDCI-CI, le PPA-CI ne peut que se projeter dans l'hypothèse d'un report mécanique des voix à l'issu d'un premier tour à partir duquel son candidat se serait qualifié au détriment de celui du PDCI-RDA. La vérité est qu'il y a très peu de chance que l'opposition ivoirienne présente un candidat unique dépositaire d'une offre politique commune et cohérente, offrant ainsi la possibilité au candidat du RHDP et de ses partenaires politiques de se faire élire au premier tour.

 

DW : le président Alassane Ouattara, qui est actuellement en position de force, va-t-il céder aux pressions pour laisser Laurent Gbagbo se présenter en 2025 ?

 

Landry Gayet KUYO : Le sort de Laurent GBAGBO dépend de lui-même. D'ailleurs, c'est le message qu'il semble ressortir de la réunion du Comité central du PPA-CI du 09 mars 2024. Comme il aime à le rappeler, il a tout obtenu de ce qu'il considère comme significatif de lui-même. La démocratie, le pouvoir d'État, l'acquittement de la CPI Désormais, il semble viser sa réhabilitation en tant que citoyen disposant du droit de vote et de se constituer candidat. GBAGBO n'ira pas mendier pour obtenir ce qu'il considère lui revenir de droit. Il faudra donc raisonnablement envisager avec clairvoyance les moyens que le PPA-CI mettra en œuvre pour mener à bien ce qu'il convient de désigner comme l'un des combats les plus importants de sa vie en tant que personne humaine, citoyen, homme politique et homme d'État.

 

Quoi qu'il en soit, le Comité central du PPA-CI, prenant la pleine mesure des enjeux et des défis à relever, instruit le Conseil stratégique et politique et le Secrétariat général à l'effet de prendre toutes les dispositions appropriées afin que le PPA-CI engage sans délai les actions de mobilisation de toutes ses structures pour un combat démocratique acharné et sans faux-fuyant. » 

 

Le PPA-CI et Laurent GBAGBO semblent résolus à affronter Alassane OUATTARA dont les succès et le respect qui en résulte reposent sur la capacité du chef de l'État ivoirien, en exercice depuis 2011, à avoir restauré l'ordre public et la sécurité, à consolider la paix sociale et la stabilité politique en Côte d'Ivoire. 

Bob Barry Journaliste, présentateur et reporter au programme francophone de la Deutsche Welle@papegent