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Ces pères des indépendances africaines assassinés

29 juin 2022

Patrice Emery Lumumba, Barthélémy Boganda, Um Nyobé ou encore Félix Moumié... de nombreux leaders des indépendances africaines ont été éliminés. Cela a marqué l'histoire du continent africain.

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Patrice Lumumba | Kongo (historische Aufnahmen)
Image : Douglas Miller/Getty Images

C'est ce jeudi 30 juin 2022 qu'a lieu à Kinshasa, la cérémonie d'inhumation de la relique de Lumumba dans un site aménagé sur une grande artère qui porte son nom à Kinshasa en RDC.Un deuil national a commencé le 27 juin au moment où l'avion transportant la dent qui a été restituée le 20 juin par la Belgique à la RDC a atterri à Kinshasa. Cet assassinat politique, comme ceux d'autres leaders des indépendances, sont au cœur d'un ouvrage paru en 2020 aux éditions l'Harmattan. 

Karine Ramondy, l'auteure de ce livre, s'entretient avec Wendy Bashi et revient sur ce sombre épisode de l'histoire du continent africain.

"Ces leaders sont très vite devenus encombrants " (Karine Ramondy)

DW : Dans votre ouvrage "Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961. Entre construction nationale et régulation des relations internationales", vous  revenez sur le destin tragique de quatre figures de proue des indépendances en Afrique centrale : Patrice Lumumba, Um Nyobé, Félix Moumié et Barthelemy Boganda. Ils sont tous les quatre pour la première fois réunis dans un ouvrage, qu’est-ce qui vous a poussée vers cette thématique ?

Karine Ramondy : Je suis partie de la figure de Lumumba, et la chronologie qui m'intéressait, c'était ce moment d’accélération de l'histoire, au moment où des personnalités prennent en charge le basculement d'une décolonisation vers les indépendances qu'ils vont incarner, ce qui était censé être le monde de demain. J’ai été particulièrement frappée de constater que sur un espace aussi restreint, si on est à l'échelle mondiale, en Afrique centrale, il y avait déjà plusieurs personnalités qui avaient été assassinées dans ce tournant des années 60.

DW : Est-ce que Lumumba, Um Nyobè, Moumié ou Boganda étaient une menace pour les colons qui ont tout de même fini par "donner" leurs indépendances aux anciennes colonies ?

Karine Ramondy : Oui, bien sûr, mais quelle indépendance ? C'est la question qu’il convient de se poser. Si c'est une indépendance qui marque une re-dépendance avec la signature d'accords bilatéraux extrêmement favorables à l'ex-colonie, on ne peut pas considérer que c'est une indépendance. Or, ce que souhaitaient notamment les leaders camerounais et Patrice Emery Lumumba, c'était véritablement une indépendance, c’est-à-dire récupérer un certain nombre de prérogatives de l'Etat et considérer que désormais, la nation qu'ils allaient conduire avait son autonomie, son indépendance dans la façon de concevoir sa politique extérieure, sa politique intérieure, comment ses ressources et son sous-sol allaient être utilisées, à qui elles allaient être vendues. Et tout cela, évidemment, constituait des menaces sur la façon dont les métropole concevait l'après-indépendance. Et donc, ces leaders sont très vite devenus encombrants.

DW : Pensez-vous qu’en allant au devant d’une grande structure comme celle qu’était la colonisation et toute la violence qu’elle a pu générer, ces leaders des indépendances étaient conscients de la fin quasi-inévitable qui a été la leur ?

Karine Ramondy : Je pense qu'ils avaient tous intégré qu'il y avait cette possibilité. Que ce soit dans leurs écrits, dans leurs discours, dans les lettres qu'ils écrivent dans la sphère privée, à peu près tous ont intégré qu'ils peuvent mourir pour ce qu'ils sont en train de faire. Ils l'ont tellement bien intégré, que certains les voient aujourd'hui comme des martyrs. Mais je crois que, foncièrement, il y a chez eux un jusqu'au-boutisme qui fait que, avec leur formation d'outsider, la plupart de ces leaders n'étaient pas destinés à gouverner, ils viennent tous de milieux sociaux relativement défavorisés et ils n'ont pas eu de formation à gouverner. Ils se sont formés par leur rencontre, à l'école des Missions, puis ensuite parfois dans des groupes politiques comme les leaders camerounais, les groupes d'études communistes notamment, qui étaient présents à Douala et à Yaoundé et qui font véritablement qu’ils ont intégré que leur mission, c'était véritablement de développer un sens du pas de côté par rapport aux anciennes colonies, en développant une politique extérieure avec plusieurs interlocuteurs. Et ça, c'est quelque chose qui ne leur a absolument pas été pardonné.

DW : A la lueur du combat des pères de l’indépendance sur le continent africain, quel regard portez-vous sur les mouvements citoyens comme la Lucha, Filimbi, Y en a marre ou encore le Balais citoyen ?

Karine Ramondy : Ce qui est sûr, c'est que ces mouvements citoyens ont comme référence Lumumba et que beaucoup de jeunes aujourd'hui ont besoin de cette référence. Parce que ces mouvements constituent véritablement ce qu'on appelle des sentinelles de la démocratie. On a besoin, dans un pays, et notamment dans l'est du Congo, de mouvements qui incarnent la possibilité d'un avenir meilleur.

DW : Dans votre ouvrage, vous dites que tous ces leaders assassinés, le plus traqué aura été Patrice Lumumba, poursuivi par toutes les grandes agences de renseignements. Pourquoi cet acharnement sur Lumumba ?

Karine Ramondy : Je pense que c'est de loin le plus charismatique, le plus connu. Il est celui qui a le plus voyagé avant sa mise à mort. Peut être que Nyobè aussi aurait eu une aura aussi forte. Lumumba a cristallisé énormément de tensions, de haine, tout simplement parce qu'il est aussi le jeune Premier ministre d'un État qui détient de l'uranium, des minerais et dans un contexte de guerre froide, ça compte. Et c'est aussi en Afrique centrale, un pays très important.  En plus, à mesure que Lumumba se rapproche du Ghana, de Kwame Nkrumah ou de la Guinée de Sékou Touré, qu’il essaie de créer un pôle panafricain en Afrique centrale, cela a cristallisé énormément de tensions et de haine sur sa personnalité, y compris chez les Congolais. Certains Congolais, notamment du Katanga, ont aussi beaucoup de haine, mais aussi de la part de certains leaders d’Afrique occidentale qui voyaient d'un mauvais œil cette structuration autour d'un pôle en Afrique centrale qui pourrait venir contrecarrer un peu les visées politiques de certains leaders d'Afrique centrale.

 

DW-Redaktion Afrika-Französisch
Wendy Bashi Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle@WenBash