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Le viol utilisé comme arme de guerre en Ethiopie

11 août 2021

Amnesty International reproche à l'armée fédérale éthiopienne et ses alliés de commettre des atrocités dans le Tigré.

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Cette femme tigréenne de 40 ans raconte qu'elle a été capturée et violée par 15 soldats érythréens (photo du 14 mai 2021)
Cette femme tigréenne de 40 ans raconte qu'elle a été capturée et violée par 15 soldats érythréens Image : Ben Curtis/AP/picture alliance

C'en est bel et bien terminé du cessez-le-feu entre les forces gouvernementales de l'Ethiopie et les forces armées tigréennes autoproclamées.

Abiy Ahmed a lancé mardi [10.8.21] un appel à la mobilisation générale. 

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed appelle son armée et les milices alliées à donner "une fois pour toutes" un coup d'arrêt aux combattants du Tigré. Le chef du gouvernement enjoint tous "les Ethiopiens aptes et majeurs" à "montrer leur patriotisme" et à rejoindre les forces de défense nationale.

>>> A lire aussi : Se dirige-t-on vers une catastrophe au Tigré ?

Cet appel survient alors que les forces tigréennes ont repris la capitale régionale Mekele fin juin et continué depuis leur avancée dans les régions voisines de l'Afar (à l'est du Tigré) et l'Amhara (au sud du Tigré).

Des combattants tigréens en juin 2021, à Mekele
Des combattants tigréens en juin 2021, à MekeleImage : YASUYOSHI CHIBA/AFP

"Une situation inimaginable"

Befeqadu Hailu, analyste politique éthiopien, estime, au micro d'Isaac Kaledzi (DW) que "cet appel à la mobilisation des civils [lancé par le Premier ministre Abiy Ahmed] n'est pas nécessaire [...]. Cette crise est hors du commun, inimaginable", ajoute-t-il. Et il poursuit : "Les marchés se sont effondrés dans la région du Tigré comme dans l'Afar. Dans l'Afar, près de 200 000 personnes ont été déplacées suite à l'attaque menée par les Tigréens durant leur avancée vers l'Afar et l'Amhara. Beaucoup de personnes ont aussi été déplacées dans la région Amhara alors que les violences se sont étendues hors du Tigré. Ce qui se passe est inimaginable."

Le conflit dans le Tigré, qui dure depuis novembre dernier, a déjà fait des milliers de morts. Il affecte des millions de personnes qui souffrent de sous-alimentation ou qui ont dû quitter leur foyer, d'après les Nations unies, alarmées par la catastrophe humanitaire dans le Tigré

Une mère et sa fille de 22 mois qui souffre de mal-nutrition, dans une clinique d'Abi Adi (Tigré, Ethiopie)
Le conflit au Tigré provoque aussi une famine qui frappe des millions de personnesImage : Ben Curtis/AP Photo/picture alliance

Des viols, des actes de torture

Pour compléter ce tableau sombre, Amnesty International a publié ce matin [11.8.21] un rapport sur les exactions commises par les combattants fidèles au pouvoir d'Addis Abeba.

Amnesty International y accuse les forces éthiopiennes et leurs alliés (des soldats érythréens, des miliciens du groupe armé amhara Fano et des membres de la force spéciale de la police régionale amhara) d'atrocités, commises depuis des mois, envers les civils.

>>> A lire aussi : La famine menace la région en conflit du Tigré

Amnesty International a interrogé 63 victimes, des femmes et des jeunes filles, et a mené des entretiens avec du personnel médical. Les victimes décrivent des violences sexuelles, des objets - comme des clous ou du gravier - qui ont parfois été introduits dans leur vagin.

Plusieurs dizaines d'entre elles ont raconté avoir été retenues prisonnières pendant des semaines, affamées, violées, parfois sous les yeux de leurs proches.

Des déplacées du Tigré échangent, en mai, sur les violences qu'elles ont vécues : "Ils sont pires que des bêtes."
Des déplacées du Tigré échangent, en mai, sur les violences qu'elles ont vécues : "Ils sont pires que des bêtes."Image : Ben Curtis/AP/picture alliance

Dans les centres de soin du Tigré, 1.288 cas de violences envers des femmes ont été recensés par des médecins entre février et avril 2021 et plus de 375 viols constatés jusqu'à début juin 2021 par le seul hôpital d'Adigrat. Ces chiffres sont sans doute bien en-deçà de la réalité car toutes les victimes ne viennent pas se faire ausculter.

>>> A lire aussi : Des crimes graves commis au Tigré, l'ONU très préoccupée

Outre le traumatisme psychologique, certaines blessures sont "peut-être irréversibles", d'après Amnesty International.

Plusieurs centaines de femmes victimes

"Des centaines [de femmes] ont été soumises à des traitements brutaux visant à les dégrader et les déshumaniser", a expliqué la secrétaire générale de l'ONG, Agnès Callamard. Le viol, parfois en réunion, utilisé comme arme de guerre, de l'esclavage sexuel, des mutilations, de la torture, des insultes ethniques, des menaces de mort. Amnesty International estime au vu de la gravité de ces actes que certains sont "passibles de crimes de guerre et possiblement de crimes contre l'humanité".

Véhicule de l'armée fédérale éthiopienne, dans la région du Tigré, en mai
Véhicule de l'armée fédérale éthiopienne, dans la région du Tigré, en maiImage : Ben Curtis/AP/picture alliance

Appel aux autorités d'Addis Abeba

L'ONG enjoint le gouvernement éthiopien à "prendre des mesures immédiates pour empêcher les membres des forces de sécurité et des milices alliées de commettre des violences sexuelles" et appelle l'Union africaine à soumettre ce conflit à son Conseil de paix et de sécurité.

Autre requête des défenseurs des droits humains : que la commission d'enquête de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples ait accès aux lieux et aux victimes, et que le secrétaire général des Nations unies envoie "d'urgence au Tigré" une équipe d'experts.

Amnesty International réclame également à ce que les victimes, arrivées dans des camps de déplacés à Shire en Ethiopie ou de réfugiés au Soudan, aient accès à un accompagnement médical et psychologique.

Enquêtes lancées en Ethiopie

Addis Abeba a fait savoir en mai que trois soldats avaient été condamnés pour viol et 25 autres inculpés pour violences sexuelles.

Pour l'heure, le détail des enquêtes préliminaires lancées par les autorités éthiopiennes n'a pas été communiqué à l'ONG qui réclame ces informations.